L'importance d'agir
Vous vous rappelez cette photo qui avait circulé sur les réseaux sociaux où Justin Trudeau et Barack Obama étaient attablés dans un établissement de Montréal? C’était au Liverpool House, l’un des restaurants de Fred Morin, reconnu comme l’un des meilleurs chefs du pays, notamment pour son travail au Joe Beef. On s’entretient avec lui pour savoir comment le diagnostic de la maladie cœliaque a changé sa vision personnelle et professionnelle.
Pas très actif, peu attentif à l’école et souvent en proie à des maux de ventre… voilà comment Fred Morin se remémore son enfance. À l’époque, ni lui, ni les membres de sa famille ne se doutaient que la consommation de gluten provoquait ces symptômes.
«Adolescent, j’ai commencé à avoir d’importantes lésions cutanées que j’ai attribuées à un accident de vélo, se souvient-il. Comme tout le reste, je me suis habitué aux démangeaisons et j’ai appris à vivre avec ce désagrément. Des années plus tard, j’ai su qu’il s’agissait en fait de dermatite herpétiforme, causée par la maladie cœliaque.»
Quand il a reçu ce diagnostic, il en était à ses premiers pas dans le monde de la haute gastronomie et œuvrait dans les cuisines du prestigieux restaurant Toqué!. «J’avoue qu’à ce moment-là, je n’ai pas du tout réalisé la gravité de ma condition et j’ai même pris la nouvelle à la légère. Je me suis dit que j’allais changer ma façon de m’alimenter si mes symptômes devenaient plus graves, ou si mon médecin me l’ordonnait avec plus d’insistance.»
La prise de conscience
Malgré des épisodes où son moral était à son plus bas, une importante fatigue, physique et mentale, ainsi que des douleurs articulaires, Fred Morin a continué à consommer du gluten quelques années encore. Mais une suite d’événements a finalement changé la donne. «Après avoir mentionné à mon médecin que je me sentais particulièrement épuisé, il m’a fait passer des tests qui pointaient vers quelque chose qui évoquait un lymphome, qui peut être une complication de la maladie cœliaque. Finalement cela s’est avéré être une autre condition, de moindre gravité.» Cet épisode lui a toutefois fait réaliser que si la maladie cœliaque ne lui causait pas trop de torts dans l’immédiat, elle pouvait créer d’importants dommages à plus long terme.
Mais le moment décisif, celui qui l’a incité à abolir le gluten une fois pour toutes, est survenu l’an dernier: son fils aîné, âgé de 8 ans, a à son tour reçu le diagnostic. À ce moment, plus question de prendre quelque risque que ce soit.
Un vent de changement
«Au début, ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’est de m’alimenter lorsque j’étais sur la route. Le manque d’option faisait en sorte que je trichais ou que je me privais de manger. Ce qui n’était guère mieux, parce qu’après j’avais tellement faim que je me rabattais sur n’importe quoi», explique celui qui s’est vite rendu compte qu’éviter le gluten est loin d’être synonyme de saine alimentation.
«Je ne suis pas tellement adepte des solutions de remplacement. C’est-à-dire que j’aime mieux me passer de pain, de pâtes ou de craquelins, que de consommer des versions qui ne me plaisent pas vraiment. J’ai fait quelques recherches sur le sujet pour me rendre compte que plusieurs recettes traditionnelles françaises et même italiennes ne contenaient pas de gluten. Par exemple, des gâteaux composés de fécule ou de poudre de noix.»
Comme chef et copropriétaire de quatre restaurants à Montréal (Joe Beef, Liverpool House, Le Vin papillon et Vin mon lapin), la maladie a également provoqué une importante prise de conscience. Dans ces commerces, un rigoureux protocole de service est mis en place lorsque des clients déclarent une allergie ou une intolérance à un aliment. Ainsi, il n’y a qu’une seule personne qui s’occupe du service de la table, question d’éviter toute confusion ou tout malentendu. En cuisine, un code de couleurs est aussi utilisé, et des surfaces et des ustensiles sont réservés uniquement à la préparation du repas destiné à ces individus.
«Nous mettons tout en œuvre pour que les personnes aux prises avec des restrictions puissent réellement s’amuser quand elles viennent au restaurant. On souhaite que tous puissent décrocher sans avoir de crainte quant à ce qu’elles mangent.»
Pour des efforts collectifs
Fred Morin est toutefois conscient de la difficulté, tant sur le plan moral que légal, pour plusieurs entreprises du monde de l’alimentation d’offrir de solides garanties. S’il prône l’importance d’un meilleur apprentissage des différents enjeux dans les écoles d’hôtellerie et de cuisine, il milite également en faveur du retour des cours d’économie familiale dans les écoles secondaires du Québec. Il croit qu’ainsi, la population générale pourrait devenir mieux outillée pour faire face aux allergies ou aux intolérances alimentaires.
«La solution passe par l'élimination des préparations industrielles et des mets transformés, clame-t-il. Mais pour un retour à une alimentation à base d’ingrédients plus simples, il faut savoir les cuisiner.
Malheureusement, ce sont des connaissances qui se sont perdues. Tout le monde devrait être capable de faire cuire un steak à la perfection et de l’accompagner de pommes de terre et de légumes. Les cours d’économie familiale permettraient donc de se réapproprier les fondements d’une cuisine aussi simple que saine.»
Par Clémence Risler
Article paru dans le magazine Info Coeliaque Vol 35 N°1 Printemps 2018