La littératie alimentaire des adultes vivant avec la maladie cœliaque

Rédaction : Christine Desjardins Dt.P., M.Sc.
Collaboration : Catherine C. Payette, étudiante au baccalauréat en nutrition et Maude Perreault, Dt.P., PhD, chercheuse au Centre Jean-Jacques Gauthier et professeure adjointe au département de nutrition de l’Université de Montréal
Article paru dans Le Magazine Cœliaque Québec, Vol 40 N° 3, Hiver 2023.

Depuis 2021, les données recueillies sur l’étude portant sur la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie coeliaque au Québec ont fait beaucoup jaser. Les constats sont frappants : la maladie coeliaque et son traitement bouleversent le quotidien des personnes touchées. Et tout n’a pas encore été dit sur le sujet. Une nouvelle analyse découlant des témoignages reçus a été faite. Coeliaque Québec s’est entretenu avec Catherine C. Payette, étudiante au baccalauréat en nutrition à l’Université de Montréal et récipiendaire d’une bourse PREMIER, qui vise à initier les étudiantes et étudiants de premier cycle à la recherche. Lors de son stage d’été, supervisée par Maude Perreault, professeure adjointe au département de nutrition de l’Université de Montréal, Catherine a eu l’occasion d’analyser les témoignages des 743 personnes ayant participé à l’étude. Elle nous révèle sa démarche et ses constats.

Bonjour Catherine! Félicitations pour l’obtention de votre bourse. Durant votre stage, vous avez poursuivi l’analyse des données recueillies en 2021. Pouvez-vous nous dire quel était l’objectif de ce projet?

Oui, bien sûr! En fait, notre objectif était d’explorer la littératie alimentaire des adultes qui vivent avec la maladie coeliaque. Nous avons procédé par ce qu’on appelle la méthode des incidents critiques négatifs. Lorsqu’ils répondaient au sondage de l’étude, les gens devaient nous décrire un de leur moins bon souvenir en lien avec la maladie coeliaque, avec le plus de détails possible. Nous avons analysé tous ces témoignages reçus - qu’on nomme incidents critiques - en fonction des indicateurs de la littératie alimentaire.

On entend parler de ce concept de plus en plus souvent. Comment définit-on la littératie alimentaire et quels sont les liens à faire avec la maladie coeliaque?

C’est un concept assez large qui va au-delà du simple fait de savoir cuisiner. Il regroupe toutes les connaissances, compétences et capacités qui permettent de se débrouiller et de s’orienter dans un environnement alimentaire complexe. Cela inclut par exemple la commensalité, c’est-à-dire le fait de rassembler des gens autour d’un repas, ou encore comprendre les enjeux d’insécurité alimentaire, ainsi que plusieurs autres éléments. Développer une bonne littératie alimentaire est important pour tout le monde, mais encore plus pour une personne vivant avec la maladie coeliaque. Parce qu’on le sait, le seul traitement possible consiste à consommer une alimentation sans gluten. Cela nous amène à entrer en relation avec notre environnement alimentaire d’une manière totalement différente de nos habitudes. Vivre avec cette maladie va au-delà d’être capable de lire les étiquettes et de trouver des recettes appropriées. Il faut aussi s’adapter socialement aux conséquences de cette nouvelle alimentation. Savoir comment réagir et se débrouiller au restaurant lorsque tous nos camarades veulent y souper, développer des stratégies quand on vit en région éloignée et que l’offre alimentaire sans gluten est limitée ou encore ajuster nos façons de voyager. Il s’agit là d’éléments importants qui découlent de la littératie alimentaire. Elle est donc ce qui permet aux personnes atteintes de s’outiller pour trouver de nouveaux repères.

Quelle méthodologie avez-vous utilisée pour faire l’analyse des témoignages en fonction de la littératie alimentaire?

Pour analyser les incidents critiques, nous avons choisi le cadre conceptuel de Slater de 2022. C’est un modèle qui classe les différents éléments de la littératie en trois grandes catégories : les compétences fonctionnelles, relationnelles et des systèmes. Chacune de ces catégories de compétences se décline en 11 sous-compétences qui incluent 48 indicateurs bien précis.

Par exemple, les compétences fonctionnelles font référence aux notions qui concernent la confiance et l’autonomisation avec la nourriture. On y retrouve des indicateurs comme connaître l’origine de nos aliments, être en mesure de faire des choix basés sur un budget ou encore posséder les habiletés nécessaires pour cuisiner des mets avec les outils appropriés.

Les compétences relationnelles, quant à elles, se rapportent à la joie et à la signification que prend l’alimentation, ce qui peut se traduire par des indicateurs comme utiliser la nourriture pour promouvoir la solidarité et le bien-être, développer une image corporelle positive ou encore réaliser que les aliments sont plus que de simples nutriments.

Dans les compétences des systèmes, on pense à la durabilité et à l’équité des systèmes. On y retrouve par exemple des aptitudes à comprendre l’insécurité alimentaire, autant individuellement que collectivement, et réduire le gaspillage alimentaire. Nous avons aussi décidé d’ajouter une  quatrième catégorie : les compétences reliées à la gestion de la maladie, puisque ce thème ressortait dans de nombreux témoignages et qu’il était impossible de les classer dans les trois catégories initiales. Les interactions avec les professionnelles et professionnels de la santé, son médecin, ou encore la présence de symptômes physiques liés à la maladie se retrouvent dans cette section. Une fois la grille bien établie et après quelques ajustements pour s’assurer qu’elle représente bien le contexte de la maladie coeliaque, nous avons codé tous les incidents critiques, c’est-à-dire qu’on a déterminé à quel(s) élément(s) de la littératie alimentaire ils faisaient référence. C’est ainsi que nous avons pu déceler les thèmes qui revenaient le plus souvent et les enjeux qui préoccupent les personnes atteintes de la maladie coeliaque.

Et quels ont été les principaux constats?

Il s’avère que les expériences négatives les plus souvent citées par les participantes et participants concernaient la gestion de la maladie, qui va au-delà de celle de l’alimentation sans gluten. Quand on regarde es grands thèmes de la littératie alimentaire, ce sont les compétences fonctionnelles qui étaient le plus souvent nommées, suivies des compétences des systèmes, puis relationnelles. Nous avons ensuite identifié les cinq indicateurs - ou compétences plus précises - qui revenaient à répétition. À noter que plus d’une thématique pouvait être soulevée dans un même témoignage. Cela va comme suit :

  • 30 % faisaient mention des émotions liées à la gestion de la maladie, par exemple ressentir du découragement ou des craintes face à sa santé;
  • 30 % des incidents critiques négatifs faisaient mention de la difficulté à identifier et accéder à une offre alimentaire adaptée dans les restaurants;
  • 29 % soulevaient des enjeux liés aux symptômes physiques de la maladie, tels des malaises gastro-intestinaux;
  • 23 % faisaient mention des interactions avec les spécialistes de la santé;
  • et 22 % soulevaient le rôle de la nourriture à rassembler des gens ou encore à les séparer (comme c’est le cas avec la maladie coeliaque, de nombreuses personnes ayant témoigné se sentir exclues des célébrations ou des repas par absence d’offre alimentaire sans gluten ou parce que les autres convives trouvaient le menu trop difficile à adapter).

Nous avons aussi constaté que certains indicateurs revenaient souvent ensemble. Par exemple, être en mesure de prévenir ou d’identifier les toxi-infections (ou la contamination dans le cas de la maladie coeliaque) était souvent associé à des symptômes physiques. C’est le genre d’association à laquelle on s’attendait bien sûr.

À votre connaissance, d’autres avant vous ont-ils étudié la littératie alimentaire en contexte de maladie coeliaque? Si oui, ont-ils fait des constats similaires?

Il n'y a pas eu d'autres recherches qui ont utilisé un cadre conceptuel complet comme celui de Slater. Il y a quand même eu des études sur l’adhésion au traitement qui faisaient référence à certaines composantes de la littératie. Elles ont soulevé que l’éducation en nutrition et le fait de posséder de bonnes connaissances nutritionnelles est un facteur prédictif positif du suivi de l’alimentation sans gluten. Quelques études ont aussi exploré le concept avec d’autres maladies chroniques où l’alimentation joue un rôle important. À la lecture de ces recherches, j’ai constaté que, généralement, chez les gens qui ont une maladie chronique, leur niveau de littératie alimentaire est plus élevé que dans la population générale. On s’est alors questionné à savoir si une meilleure littératie alimentaire permet de bien mettre en oeuvre les changements alimentaires imposés par la maladie chronique ou si c’est parce que la maladie requiert des changements alimentaires que les gens finissent par développer ces acquis. L’oeuf ou la poule? Il serait intéressant de pousser plus loin la réflexion.

À la lumière des résultats obtenus, y a-t-il des pistes de solutions à envisager ou des éléments sur lesquels il serait prioritaire de travailler?

Ce qui est frappant, c’est que ce n’est pas qu’une question de nourriture ici. Il y a aussi le côté social lié à la préparation et à la consommation des aliments, sans oublier les interactions avec les équipes de soins qui ressortent comme préoccupations importantes. La défense des droits de la personne également. Tous ces volets doivent être pris en considération dans le développement de stratégies pour offrir un traitement juste et équitable. Un autre élément qui m’a interpellée est que parfois, des répondantes ou répondants parlaient d’un même sujet, mais exprimaient des besoins différents. Par exemple, alors que plusieurs décriaient le fait de devoir apporter leur lunch lors de repas chez l’entourage, d’autres préféraient le faire pour éviter une contamination. Je trouve que ça met de l’avant le besoin d’offrir davantage de soutien pour que chaque personne atteinte se sente légitime d’affirmer ses besoins et ses limites.

Vous avez aussi fait des rapprochements entre vulnérabilité et littératie alimentaire. Pourriez-vous définir le terme vulnérabilité dans le contexte de votre étude et l’hypothèse émise entre les deux concepts? Pour notre recherche, nous avons utilisé une définition en santé publique, qui se lit comme suit : l’état ou la situation d’un individu susceptible de subir des préjudices à cause de divers facteurs. Nous avons choisi deux indicateurs de vulnérabilité, soit un faible revenu familial brut et l’absence d’éducation postsecondaire. Notre hypothèse était que les personnes présentant ces indicateurs de vulnérabilité posséderaient une moins bonne littératie alimentaire. Ultimement, pour une question de justice sociale, on souhaiterait que tous les individus aient une chance égale d’accéder au traitement. C’est pourquoi il était important pour nous d’analyser comment le fait d’être en situation de vulnérabilité peut affecter la littératie alimentaire.

Quelle a été la méthode employée pour vérifier cette hypothèse?

À partir du questionnaire sur la qualité de vie des personnes vivant avec la maladie coeliaque, nous avons identifié 12 questions-réponses qui se rapportaient à la littératie alimentaire selon, encore une fois, le modèle conceptuel de Slater. Nous avons ensuite vérifié, pour chacune d’elles, s’il existait une différence en fonction des indicateurs de vulnérabilité. Autrement dit, on voulait vérifier si certains enjeux revenaient plus souvent chez les individus sans éducation postsecondaire ou avec un revenu familial brut faible, plutôt que chez les personnes avec une éducation postsecondaire ou un revenu familial brut élevé.

Avez-vous noté des différences?

Parmi tous les éléments, deux sont ressortis comme étant significativement associés aux indicateurs de vulnérabilité. Il s’agit des suivants : Comparer les coûts pour faire des choix alimentaires et Comparer les aliments en interprétant les étiquettes, l'emballage, les informations nutritionnelles et les allégations de santé en fonction du budget. En d’autres mots, si on résume, les participantes et participants avec un faible revenu familial brut ou sans éducation postsecondaire sont en moyenne plus ennuyés par le coût des produits SANS GLUTEN et par le temps pour les repérer à l’épicerie que les personnes ayant un revenu plus élevé ou une éducation postsecondaire. Il est important de mentionner que les gens qui ont répondu au sondage avaient en majorité un revenu élevé et une éducation postsecondaire. Les personnes nouvellement immigrantes en situation de précarité financière ou encore celles qui n’ont pas accès à Internet ne sont pas représentées dans l’étude. Il y a fort à parier que la situation serait encore bien pire pour certains groupes plus vulnérables.

Sachant qu’être en situation de vulnérabilité peut influencer négativement la littératie alimentaire, y a-t-il des stratégies à envisager pour améliorer la situation?

Il ne faut surtout pas mettre l’ensemble de la responsabilité sur les individus. D’emblée, il faudrait que l’accès au traitement soit juste et équitable. La première étape pour y arriver est de reconnaître qu’il existe des inégalités dans la société, et c’est ce que notre recherche a permis de soulever. Pour les interventions spécifiques à mettre en place, il y en a plusieurs à considérer. Par exemple, est-ce que d’instaurer des politiques financières, davantage de filets de sécurité sociale, ou une nouvelle réglementation sur l’étiquetage des allergènes dans les restaurants, pourrait être aidant? Probablement. Il serait important d’étudier, par le biais d’autres recherches, l’impact de ces stratégies dans un contexte de santé publique.

En terminant, merci beaucoup, Catherine, d’avoir réalisé ce projet, une analyse très innovante, qui permet de mieux comprendre la réalité de la communauté coeliaque et de mieux cibler nos futures interventions. En guise de conclusion, l’étude a été faite auprès des adultes, mais la littératie alimentaire peut s’apprendre dès le tout jeune âge. Comment peut-on, comme société ou comme individu, contribuer à la développer plus tôt chez nos jeunes?

Non seulement elle peut se développer dès l’enfance, mais c’est le moment le plus propice pour le faire! Une des particularités du modèle de Slater, qui n’a pas été exploitée dans le cadre de nos recherches, c’est que des indicateurs de la littératie alimentaire sont attribués selon les groupes d’âge chez les jeunes. Cela permet de normaliser les apprentissages et de suivre l’évolution des compétences alimentaires acquises durant l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Et il nous donne justement des pistes d’idées pour les développer chez les jeunes. Ça peut être en les invitant à cuisiner avec nous pour leur faire découvrir des ingrédients et des techniques de cuisine, en les aidant à développer une relation saine avec l’alimentation et leur corps, en les familiarisant avec les produits locaux et les différents procédés de transformation des aliments ou encore en semant des légumes dans son potager, pour leur permettre de comprendre l’origine des aliments. Chacune de ces occasions d’apprentissage contribue à outiller les enfants pour l’avenir.

Cœliaque Québec remercie chaleureusement Catherine C. Payette et Maude Perreault pour la réalisation de ces projets de recherche, ainsi que toutes les personnes de la communauté qui ont donné de leur temps pour répondre au sondage.

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