Rédaction : Gail Setlakwe, Dt.P. MBA
Collaboration : Dr Patrick Godet, gastroentérologue, Hôpital de LaSalle
Article paru dans Le Magazine Cœliaque Québec, Vol 40 N° 2, Automne 2023.
Note de la rédaction : dans cette étude, le terme « auto-immunité coeliaque » réfère à un résultat positif au dosage sérologique des anticorps anti-transglutaminase (anti-tTG) d’un individu.
La plupart des études portant sur l’incidence de la maladie coeliaque s’appuient sur la biopsie duodénale comme test de choix alors que peu d’entre elles se basent uniquement sur un résultat sérologique positif. Récemment, une recherche a été publiée dans le journal Gastroenterology apportant de nouvelles connaissances à cet égard. Pour bien les comprendre, nous nous sommes entretenues avec le gastroentérologue et membre du comité scientifique, Dr Patrick Godet, qui est grandement impliqué auprès des personnes coeliaques.
Q : Dr Godet, pouvez-vous nous parler de la méthodologie employée dans le cadre de cette étude et des résultats obtenus?
R : Cette étude rétrospective de cohorte populationnelle a utilisé la banque de données des services de santé en Alberta de 2012 à 2020. L’objectif était d’évaluer la fréquence du dosage des anticorps anti-transglutaminase (anti-tTG) et de savoir combien d’individus ont eu leur premier résultat sérologique positif, c’est-à-dire dont le dosage des anticorps anti-tTG était au-dessus de la normale. Advenant qu’il y eût plusieurs résultats pour la même personne, seul le premier était pris en compte. Afin d’éviter les cas prévalents (ceux déjà diagnostiqués avec la maladie coeliaque), les scientifiques ont retranché une période de trois ans (2012 à 2015) pour ainsi déterminer le nombre de premières sérologies positives pour cette population entre 2015 et 2020. En conclusion, malgré un taux relativement stable de dépistage au cours de cette période, une augmentation de l'incidence de 6 % par année a été observée. Notamment, il y avait plus de cas de femmes susceptibles d’être testées que les hommes (environ 2 pour 1), plus de cas en milieu urbain que rural et plus de cas dont le statut socioéconomique était plus élevé par rapport à un milieu plus pauvre.
Q : Comment pouvez-vous expliquer ces disparités?
R : Il faut se poser la question : est-ce que l’augmentation de l’incidence de 6 % est réelle dans les faits ou est-ce simplement notre méthode de dépistage qui est plus performante? D’un point de vue épidémiologique, ces résultats sont en corrélation avec ceux du reste du monde où l’on note une augmentation de l’incidence de la maladie. Soulignons toutefois que le diagnostic par sérologie aura tendance à surestimer l’incidence tandis que celui par biopsie aura tendance à la sous-estimer. Le chiffre réel se retrouve probablement entre les deux.
L’incidence de « l’auto-immunité coeliaque » est généralement plus grande dans les groupes ayant un meilleur accès aux soins de santé ou ceux qui consultent davantage, comme les femmes. Elles sont plus sensibilisées et conscientes de leur santé que les hommes. Aussi, les maladies auto-immunes, incluant la maladie coeliaque, touchent plus de femmes que d’hommes.
Distinction entre « prévalence » et « incidence » La prévalence est le nombre de cas totaux à un moment donné. L’incidence correspond à tous les nouveaux diagnostics dans une période donnée. Elle implique une durée de temps. |
À propos du statut socioéconomique, encore là il faut regarder l’accès aux soins de santé, les méthodes diagnostiques et la sensibilisation des médecins. On remarque aussi au Québec que les médecins de première ligne sont beaucoup plus sensibilisées et sensibilisés à la maladie coeliaque et informées et informés sur celle-ci, ce qui a pour effet que les tests sont faits de façon plus ciblée envers des patientes et des patients plus à risque. Néanmoins, au-delà de ces facteurs, on ne peut pas nier l’impact de la diète et de l’environnement. Ces deux derniers paramètres influencent probablement l’équilibre du microbiote intestinal et pourraient engendrer des différences notables de la réponse intestinale au gluten entre les individus. Prenons l’exemple des enfants immigrant de pays défavorisés où le taux de prévalence des infections intestinales est plus élevé tandis que celui de maladies inflammatoires intestinales (MII) est plus faible qu’au Canada. En arrivant au Canada, le taux d’incidence de MII de cette population tend à s’approcher de celui des enfants nés ici. Est-ce que c’est le même phénomène avec la maladie coeliaque? C’est possible! Il y a certainement un effet du microbiote sur les maladies intestinales auto-immunes chez l’humain.
Q : On peut constater une stabilisation de l’incidence de la maladie coeliaque dans certaines régions scandinaves. En revanche, celle-ci monte encore au Canada. Comment pouvons-nous expliquer ceci?
R : Le pic de l’incidence au Canada n’est probablement pas encore atteint. On n’a pas encore de chiffres réels donc il est fort possible d’observer dans le futur une croissance. En Scandinavie, l’incidence est stable, car cela fait longtemps que ce pays vit avec la maladie coeliaque. Ces territoires sont plus petits, plus homogènes du point de vue de la population et comme c’est une maladie qui a une forte prévalence là-bas, le dépistage se fait de façon plus systématique et optimale. Dans les dernières années un plateau a été observé dans les pays scandinaves.
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Coeliaque Québec tient à offrir ses sincères remerciements au Dr Godet pour cette entrevue. Merci également au Dr Prévost Jantchou qui a informé le comité scientifique de Coeliaque Québec de la parution de cette étude. Ces nouvelles données viennent brosser un portrait intéressant sur l’épidémiologie de la maladie coeliaque à l’ère où les critères diagnostiques sont en pleine évolution. Nous allons rester à l’affût des découvertes découlant de cette importante recherche en Alberta. Pour en savoir plus sur cette étude (en anglais seulement), rendez-vous à : https:// www.gastrojournal.org/article/S0016-5085(23)00007-0/